Les papillons migrateurs gardent le cap dans le vent dominant Certains insectes sont des migrateurs infatigables. On ne présente plus le papillon monarque américain ni le criquet pèlerin, dont les pérégrinations dans le Sahel sont redoutées. Mais le ciel de France métropolitaine, qui voit passer des millions d'oiseaux migrateurs, est aussi traversé chaque année par des milliards d'insectes volants, plus discrets, des papillons pour l'essentiel. Ces lépidoptères, partis des rives méditerranéennes ou du Maghreb, sont-ils les simples jouets des vents dominants ? Sont-ils maîtres de leur destin migratoire ? C'est pour mieux répondre à ces questions qu'une équipe britannique a mis sur pied une expérience originale. Comme ils l'expliquent dans la revue Science du 5 février, des entomologistes et des météorologues dirigés par Jane Hill (université de York) se sont intéressés aux stratégies de vol de quatre groupes de lépidoptères migrateurs, dont trois nocturnes. Entre 2000 et 2007, des radars entomologiques déployés au Royaume-Uni et capables de détecter les insectes entre 150 et 1 200 mètres d'altitude leur ont permis de saisir au vol 569 événements de migration impliquant plus de 100 000 individus. Au printemps, ces papillons, tous groupes confondus, se déplaçaient vers le nord - ce qui est conforme avec leur route de prédilection, qui les conduit vers l'Europe du Nord. Mais aussi en ligne avec les vents dominants. A l'automne, leur trajectoire était orientée vers le sud, alors que, cette fois, les vents soufflaient d'ouest... Les lépidoptères mettent donc bien en oeuvre une stratégie de vol qui leur permet de profiter des vents d'altitude, et ils savent prendre et tenir un cap pour corriger d'éventuelles dérives. Ce qui aboutit à des vitesses de déplacement impressionnantes : certains pouvaient atteindre 54 km/h en croisière et 90 km/h en pointe, soit entre 400 et 700 km en une nuit. Pour valider leurs évaluations, les chercheurs britanniques ont fait tourner des modèles numériques à partir de données météorologiques réelles. L'un considérait les papillons comme de simples particules, tandis que l'autre calquait le comportement de vol de papillons virtuels sur celui d'Autographa gamma, qui se cale sur l'altitude des vents les plus rapides. Résultat : la distance parcourue était de 40 % plus grande pour le papillon nocturne virtuel, et le cap meilleur que pour les particules. Ces stratégies de vol sont proches de celles d'oiseaux marins qui vont se reproduire en Arctique. Ceux-ci se placent dans les vents d'altitude plus rapides, tandis que les passereaux nocturnes semblent sélectionner les vents en fonction de leur bonne orientation : "De fait, les vitesses de migration des insectes sont considérablement plus rapides que celles des passereaux", écrivent les chercheurs. Contre le vent. Ces conclusions ne surprennent pas les passionnés de papillons. Antoine Levêque, qui coordonna un groupe d'observateurs d'insectes migrateurs à l'Office pour les insectes et leur environnement au début des années 2000, rappelle qu'en 1996 une énorme migration de belles-dames, un papillon diurne, avait été suivie dès son départ en Algérie : "Quatre jours plus tard, les insectes étaient dans le sud de l'Angleterre." Marcel Gillard, membre d'un réseau belge de 200 observateurs, a fait, à maintes reprises, le même constat, pour les espèces diurnes, volant plus près du sol que les nocturnes et plus faciles à suivre. "Certaines passent même des cols contre le vent, mais c'est plus difficile", note-t-il.